Nous ne savons rien d’Eugène Savitzkaya, quelqu’un sait bien sûr, mais nous, nous ne savons rien, sinon les livres qu’il publia, rien de sa vie, nous ne l’avons jamais rencontré, ce court roman est écrit par un fou et pourtant tout paraît vrai, autobiographique. Ce sentiment de lecteur n’est pas uniquement nourri par les rares coïncidences vérifiables, des prénoms et des noms, Hervé, Jérôme, Beckett, le sien dont il rappelle la consonance russe ou polonaise, des lieux, Bruxelles, Liège, un âge donné dès la fin du premier paragraphe : «Il se prépare à fêter cinquante années de folie», un paragraphe qui pourtant ne dit que le détail des trente-neuf brouettes déchargées devant nous. Non, cette impression de vérité émane de la langue, de la poésie de ce fou jardinier qui écrit auprès d’un vieux dictionnaire, des mots mêmes qu’il recopie avec la fausse naïveté de ceux qui savent et qui, par politesse, feignent d’ignorer. Ces mots étranges sont des autoportraits. Page quarante: «A force de fréquenter les lettres, le fou est devenu eumolpe», il participe «au gribouillage général, confondant les signes graphiques et les fils des araignées», lue sans savoir la phrase est celle d’un fou, passée au filtre du dictionnaire, elle s’éclaire dans l’oblique, puisque l’eumolpe y est «un insecte coléoptère (Chrysomélidés) scientifiquement appelé Bromius, Eumolpus ou Adoxus, et communément gribouri ou écrivain, parce qu’il vit exclusivement sur la vigne dont il découpe les feuilles en se nourri
«A quoi songe le fou sur son futon?»
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publié le 10 novembre 2005 à 4h30
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