Dans un récent numéro de Critique en hommage à Jean Starobinski, le psychanalyste Michel Schneider note que celui-ci «a du mal à écrire sur la musique». Cette difficulté de mettre en mots ce qui par essence leur échappe, le penseur genevois ne la nierait pas, mais il a trouvé un moyen de la tourner, de la retourner sur elle-même, grâce à l'opéra. Il agit à la manière des astrophysiciens quand ils décrivent des phénomènes qui échappent à l'observation et à l'imagination, comme les trous noirs, par déduction de leurs influences sur la matière banale et bien balisée. Dans l'évocation cursive qu'il fait de l'histoire de l'opéra, Starobinski garde un nord magnétique (le plaisir musical), mais sa cartographie s'appuie sur les textes qui sont chantés. Mais s'il prend ainsi solidement appui sur les mots, son domaine d'autorité, c'est pour mieux remonter vers l'émotion musicale sans oublier un seul instant que, selon la formule de La Bruyère qu'il cite, «le propre de ce spectacle est de tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un égal enchantement».
Car c'est bien d'enchantement qu'il s'agit. Contrairement à son antonyme «désenchantement», ce vocable n'a plus place dans le vocabulaire contemporain. Pourtant, dit Starobinski, l'ensorcellement (notamment amoureux et sous la figure du féminin) est un thème germinal du genre opératique alors que le spectacle et sa machinerie merveilleuse se fait lui-même acte d'envoûtement. A travers la naissance d'une «religion de la beauté»,