Serait-ce le trop de dons exprimés ailleurs que dans les livres (le cinéma, la télévision, la presse...) qui a dispersé, voire gâché, l'extraordinaire talent littéraire de Mario Soldati ? Ou est-ce l'amour de la vie croquée à pleines dents (le bon vin, les belles femmes, les bons cigares, pour ne pas parler des beaux garçons, étudiants ou marins) qui a relativisé chez lui l'exercice des arts, y compris l'écriture ? Enfin, son papillonnage quelque peu ombrageux ne serait-il pas le signe d'une connaissance intime et désabusée des doubles fonds de l'âme que l'éducation dans un collège jésuite a sûrement contribué à sonder et, en même temps, l'aveu d'une difficulté à colmater la fissure entre la chair et l'esprit, le réel et l'idéal de l'homme ? Il y a tout cela dans les livres de Mario Soldati, mais en facettes démultipliées. Aussi les certitudes du corps, cette cognition immédiate de l'être au monde si soldatienne, ne pouvaient-elles être assumées qu'à travers le masque de la plus subtile des intelligences. On retrouve tout cela avec la fulgurance de l'état naissant dans Amérique, premier amour, récit d'initiation et carnet de route publié en 1935, deuxième livre de cet auteur né à Turin en 1906 et mort en 1999, qui n'arrête pas de monter au firmament de la littérature italienne du XXe siècle.
Le 25 octobre 1929, sur le paquebot qui le mène en Amérique, Mario Soldati et les autres migrants atterrés apprennent la nouvelle du Vendredi noir de la Bourse de New York. Le Paradis vie