Hors celle de la tonnelle ou du pommier, protégeant le hamac et la chaise longue l'été, l'ombre, comme tout ce qui porte la marque de l'obscur, a quelque chose d'infernal, de pernicieux et de maléfique. Certes, elle apparaît comme une miséricorde au voyageur exténué par les brûlures du soleil ou à l'homme traqué par ses ennemis. Mais, en général, elle est la complice des mauvais coups. C'est l'ombre que les voleurs et les assassins attendent patiemment, c'est dans l'ombre que les grenouilles grenouillent, que les comploteurs complotent et que les esprits vengeurs des morts se préparent à venir tirer les cheveux des vivants.
On est un peu benêt si on lâche la proie pour l'ombre, bien triste si on a une ombre sur le visage, reconnu coupable si on est mis à l'ombre, couard si on a peur de son ombre, détruit par la vie si on n'est plus que l'ombre de soi-même. La pensée occidentale place toujours le Bien, le Vrai et le Beau en «haut» du monde et en pleine lumière, laissant le Mal et l'Erreur proliférer dans l'obscurité, les zones interlopes et sans frontières du «bas», de l'immonde, les forêts obscures et les cavernes, les antres et les abysses. La connaissance est élévation vers la lumière, l'ombre son obstacle, son illusion et son handicap, l'irréductible «problème» qui l'empêche de «faire toute la clarté». N'est-elle donc jamais bienfaisante, productive, créatrice ?
C'est à une très éclairante plongée dans les royaumes des ténèbres qu'invite Max Milner, professeur émérite de l'