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Libération

La rechute des corps

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publié le 15 décembre 2005 à 4h58

Différencier la pratique et la théorie, le concret et l'abstrait, ne va pas de soi. Et, quand les sentiments sont des faits, les sentiments sont têtus. Les trois nouvelles contenues dans le Faste des morts datent de la fin des années cinquante, la même époque que «Gibier d'élevage», dans le recueil Dites-nous comment survivre à notre folie paru chez Gallimard, pour laquelle Kenzaburô Ôé, né en 1935, reçut à 22 ans le prestigieux prix Akutagawa, trente-sept ans avant d'être honoré par un prix plus internationalement prestigieux, le Nobel, en 1994. Elles ont en commun, en plus d'un univers étriqué (une morgue, une maison de redressement, une famille), un lien particulier à la psychologie, comme s'il s'agissait de définir à quel univers appartenaient la mort, le sexe et la politique, ce qui est conscience et ce qui est une «chose».

La première nouvelle, qui donne son titre au recueil, commence ainsi, dans un monde qui n'est certes pas immédiatement aguicheur : «Baignant dans un liquide brunâtre, les morts se tenaient enlacés et leurs têtes se heurtaient, certains flottant l'un tout contre l'autre, d'autres immergés à demi. Enveloppés dans leur peau molle d'un brun livide qui leur conférait une apparence d'autonomie ferme et impénétrable, ils se condensaient, chacun tourné vers lui-même, alors que leurs corps s'acharnaient à se frotter l'un à l'autre. Ils étaient recouverts d'un oedème à peine perceptible, qui intensifiait les traits de leur visage aux paupières hermétiquement cl