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Libération
Interview

Le scandale démocratique

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Une charge en deux temps de Jacques Rancière contre le consensus ambiant.
publié le 15 décembre 2005 à 4h58

A voguer à contre-courant, à ne pas être d'accord sur le monde tel qu'il est et à inventer sa manière à lui de le faire savoir, Jacques Rancière a passé toute une vie. Sans perdre ni ardeur ni souffle, mais en les modulant selon les époques, quand la dissension avait un sens et semblait aller de soi, et même maintenant que le consensus ambiant a fini, selon lui, par transformer en une morne plaine la pensée politique, où viennent se perdre, inaudibles, les voix dissonantes. Philosophe, professeur émérite de l'université de Paris-VIII, il fait paraître la Haine de la démocratie, un livre de combat, et Chroniques des temps consensuels, un recueil d'articles publiés ces dix dernières années dans le quotidien brésilien Folha de São Paulo.

Quarante ans ont passé depuis que Rancière signa, avec Louis Althusser et Etienne Balibar, Lire le Capital . Il avait vingt-cinq ans. Le tremblement de Mai 68 destitua chez lui un texte devenu inopérant et, plus humblement, le fit aller chercher dans les archives la voie émancipatrice empruntée par les prolétaires eux-mêmes. Ce sont la Nuit des prolétaires (Fayard 1981) et le Maître ignorant (Fayard, 1987) et la découverte que la politique n'est pas que lutte pour le pouvoir mais un «partage du sensible», un affrontement sur les manières de voir et d'organiser le réel, une scène où deviennent visibles des choses qu'autrement on ne verrait pas : le sort inégal qui est fait aux uns et aux autres sous couvert d'égalité. Remontant à l'origine grecqu