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Libération
Critique

Le cas Ravel.

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Jean Echenoz raconte les dix dernières années de la vie de Maurice Ravel.
publié le 12 janvier 2006 à 20h02

Toutes ces phrases qu'on a cochées, soulignées en première lecture, gardent une trace gênante à les relire, et toutes les autres qui l'auraient tout autant mérité, qui ne demandaient pas qu'on les distingue, qui n'attendaient pas ce crayon et cette main levée que personne n'avait fait juge, toutes ces phrases, sans distinction, forment modestement Ravel, le texte parfait. Si on avait su, on aurait retenu ces ratures. Elles défigurent, on a manqué de confiance. Parfait, dites-vous, dans ces pages l'épithète n'est guère d'usage, et on ne demande pas à être cru sur parole, vous pouvez juger sur pièce, cent vingt pages, ce n'est pas la mer à boire, et la perfection n'est pas la sainteté, elle ne culpabilise pas le pécheur, rien n'est moins sûr que la perfection, la perfection n'est que l'illusion de la perfection, c'est comme la bicyclette, elle n'existe que si on avance et elle ne s'oublie pas, elle se reconnaît à de minuscules scories, des échardes d'établi qui ne parviennent pas à la dérouter. Ainsi, en fonderie, on appelle «laitier» l'ensemble des matières vitreuses qui se forment à la surface des métaux en fusion et qui rassemblent les impuretés provenant de la gangue des minerais, même à fondre de l'or, comme ici, on se doit d'écumer le laitier, Echenoz s'amuse à en laisser quelques traces, à construire de légères répétitions que la suite justifie aussitôt, pour se faire peur, des phrases mal emmanchées où l'on tremble pour le funambule et qui toutes retombent sur leurs pa