Patate est un agent trouble. Le terme d'album, qui qualifie cet ouvrage de 624 pages, recouvre en effet une identité déconcertante, d'autant qu'il est désigné comme «deuxième», ce qui signifie qu'il y en a eu un premier et qu'il y en aura peut-être d'autres. Recueil, revue de poésie, compil' fanzine ? Sous le rose blanchi d'une couverture molle, transparaît la photographie d'un enfant au pyjama rayé et à l'insigne en triangle, image toujours trop reconnaissable des camps de concentration. La quatrième, la troisième et la deuxième de couverture, toujours Bibliothèque rose viré au blanchâtre, font également apparaître ou disparaître la fillette d'Auschwitz, l'enfant au crâne rasé et la petite au foulard, sans aucun commentaire sur le caractère potentiellement documentaire de ces portraits pour nécrophiles, joliesse malséante. Lawrence Sterne, pour son Tristam Shandy (la Vie et les opinions de Tristam Shandy, Gentleman, 1761) avait voulu que l'autobiographie de sa conception (c'était le thème de son livre) fût illustrée de pages de garde marbrées utilisées par les relieurs, déplacées à l'intérieur du texte, «comme emblèmes bigarrés» de son ouvrage. Ici, les pages de garde sont constituées d'une réserve d'enfants venus des limbes, d'anonymes morts-vivants échappant néanmoins à toute rigidité cadavérique.
Cet album est d'autant plus un revenant que sa conception provient d'un homme disparu : Pascal Doury, né en 1956 et mort en 2001, peintre et dessinateur «adolescent sans âge», qu