Les regards malveillants peuvent être instructifs. En publiant ses mémoires en 2002, l'historien anglais et marxiste impénitent Eric Hobsbawm s'est attiré les foudres des revues néoconservatrices. Le Weekly Standard y a vu le syndrome d'une gauche incapable d'admettre que Staline fut aussi grand criminel qu'Hitler. Dans The New Criterion, David Price-Jones a dénoncé en Hobsbawm un historien de propagande tenté d'absoudre le communisme et de diaboliser l'Amérique. Les deux articles convergeaient pour dénoncer la «froideur» de l'auteur, son «inhumanité», son «absence de gratitude» envers ses parents, son comportement de «juif honteux». Un renégat, en somme. Un mauvais fils.
Eric Hobsbawm s'est fait connaître dans les années 60 par ses travaux sur les révoltes primitives en Europe et le mythe des Robins des Bois à travers le monde, avant de gagner ses galons de grand historien avec une trilogie sur le XIXe siècle (l'Ere des Révolutions, l'Ere du capital, l'Ere des empires). Son autobiographie retrace le parcours d'un homme qui, par les caprices du destin, aura passé son existence au plus près de son objet d'études : l'Histoire. Ecolier à Vienne quand Freud triomphait, collégien à Berlin aux derniers jours de la République de Weimar, étudiant à Londres pendant le Blitz, militant communiste au moment du rapport Khrouchtchev, critique de jazz à l'âge d'or des fifties, professeur invité aux Etats-Unis au temps des hippies... Les souvenirs d'Hobsbawm donnent une vue panoramique impre