La gaîté, c'est de la tristesse retournée, et... non, reprenons : la tristesse, c'est de la gaîté retournée, et... non, concluons : les deux états sont réversibles comme certains grands sacs à main et le Verger de mon aimée est l'un de ces sacs à main : un débarras intime où tout grince de tristesse sous la joie. C'est aussi un livre raté, mais d'un ratage si surprenant, si libre, qu'on a plus de plaisir à le lire que de satisfaction à le juger. Dans ce sac à main, un écrivain a vécu. Il a vieilli, tout est perdu, mais il est encore là. Les colifichets de son obsession, l'adolescence amoureuse à éternité réduite, cohabitent dans un fourre-tout de passions et de signes. Ce désordre donne plus d'émotions que de regrets.
Il y a d'abord cet amour scandaleux entre un gamin de 17 ans, Carlitos Alegre (Alegre : joyeux), et une femme riche de 33 ans, Natalia de Larrea y Olavegoya, dans la haute société de Lima des années 1950. Ils ont le coup de foudre à l'occasion d'un bal mondain chez les parents du garçon, tandis qu'il lui marche sur les pieds en dansant. Ils se parlent, s'aiment, disparaissent à l'étage. Le mari de Natalia et les caciques présents les poursuivent en jurant pour les massacrer : vulgarité et violence kitsch des classes possédantes latino-américaines, traitée avec une grâce pleine de lourdeur, comme un opéra-bouffe de dernière catégorie.
Les deux amants vivent ensuite leur amour dans une maison appartenant à Natalia : c'est «le verger de mon aimée», titre d'une valse