Quasiment tous les personnages de ce roman sont beaux, riches et, jusqu'à un certain moment, en bonne santé. Un certain nombre d'entre eux sont même, injustice suprême, doués pour le bonheur, le champion toutes catégories étant sans aucun doute Bepy, le patriarche de la famille, qui, jusque sur son lit de mort, fera preuve d'un bel appétit sexuel. Un qui n'est pas doué pour le bonheur il porte cette absence de talent à un degré remarquable , c'est Daniel, narrateur et petit-fils de Bepy. «Ce qui distingue l'expérience exemplaire de mon frère Lorenzo de la mienne, si désastreuse, dit-il vers la fin de son récit, pourrait être qu'il a eu la force et l'ironie non seulement de se demander d'emblée : Qu'est-ce que je pense d'eux ? Mais aussi de se répondre avec la superbe clarté qui était la sienne : Je pense que c'est une bande de cons paranoïaques ! Il n'existe pas d'autre différence significative entre Lorenzo et moi, sinon qu'il est parvenu à établir avec ce monde cruel un rapport effrontément convexe, alors que je me refermais dans une concavité obtuse.»
Daniel, donc, n'est pas doué pour le bonheur, il en a l'intuition très tôt à propos d'un moment d'extase sexuelle aux alentours de ses 15 ans, il parle d'une «nuit où chacun a cherché à exprimer ce qu'il avait en lui, (...) à tirer ses dernières cartouches avant que le long hiver fait des interdits du surmoi n'étende ses mains menaçantes sur notre vie» et le lecteur lui-même le pressent depuis le début, depuis que Dani