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Libération
Critique

Ivo Andric tout court.

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La beauté des romans du Bosniaque avait masqué la grâce de ses nouvelles.
publié le 9 mars 2006 à 20h34

Près d'une source de montagne, c'est un lieu-dit nommé «sous le petit charme». Quand ils reviennent de la ville, en bas dans la vallée, avant de rejoindre le village de Dikavé sur le plateau, plusieurs personnages d'Ivo Andric aiment à s'y arrêter. C'est une coutume : «Tout paysan rentrant du bourg s'assied et reprend souffle, allume une cigarette, s'il en a.» On souffle et on lâche des volutes de mots. Il y a celui qui parle et ceux qui écoutent. Nombre de récits d'Ivo Andric ressemblent à cette halte. Et comme les chasseurs de tétras face à Vitomir (sujet de l'une des nouvelles), on ne se lasse pas de lire ce conteur du XXe siècle né dans un village bosniaque près de Travnik. Dans un temps de suspens, les nouvelles d'Andric s'attardent sur un détail ­ les pieds d'une femme de dos dans un restaurant qui dansent sous la table en sortant et en entrant dans ses chaussures, le flot asphyxiant de paroles d'une connaissance croisée dans un train ­ qui attise la rêverie, le souvenir. Un temps bref où l'on escorte la vie d'un homme le jour de son anniversaire, où l'on suit un couple dans une cave à l'heure des bombardements. Andric est là, il observe, il ne juge pas, ni ne se met en avant par des effets de style. Il se tient fraternellement en retrait dans une prose simple et fluide jusqu'à l'ensorcellement.

«Ivo Andric, écrivain yougoslave», écrivaient les journaux quand Andric reçut le prix Nobel en 1961, en particulier pour ses deux grands romans le Pont sur la Drina et la Chroni