Le 14 frimaire an II, la Convention promulgue un étrange décret qui ordonne l'assèchement immédiat de la quasi-totalité des étangs du pays. La réaction thermidorienne en empêche finalement l'application. Mais pourquoi la carpe, poisson le mieux représenté dans les étangs, est-elle ainsi devenue aux yeux du législateur «un animal contre-révolutionnaire» ? C'est à cette question moins frivole qu'on pourrait le croire que cherche à répondre Reynald Abad.
Au XVIIIe siècle, la pisciculture est beaucoup moins destinée à la subsistance paysanne qu'à la cuisine des monastères ou des riches citadins. C'est donc une activité à part dans l'économie d'Ancien Régime, hautement spéculative et liée à une pratique religieuse : le carême. L'élevage des poissons exige des investissements importants et de vastes terres. Les propriétaires d'étangs sont donc le plus souvent des communautés ecclésiastiques ou des seigneurs, ces derniers jouissant fréquemment du monopole de création.
L'étang est l'objet d'une de ces polémiques médicales dont le siècle des Lumières, inventeur de l'idée de santé publique, a le secret.
Les théories aéristes, alors très en vogue, selon lesquelles les conditions climatiques (en particulier l'humidité et la qualité de l'air) exercent une influence prépondérante sur les maladies, incitent les élites éclairées à condamner les eaux stagnantes. Les étangs constituent un risque sanitaire non seulement pour les habitants des zones proches mais aussi, comme l'affirment certains,