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Libération

L'Afrique et l'Europe en moi

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par André BRINK
publié le 22 avril 2006 à 21h00

SAMEDI

Tradition orale

J'ai une bonne façon de commencer ma semaine de l'écrivain : je vole à 11 000 mètres au-dessus de l'Afrique. Après dix jours en Autriche avec ma fiancée, je retourne au Cap. Après le vert intense d'une Europe qui émerge de la neige, je retrouve le patchwork familier de bruns et d'ocres. Retour aux racines, les miennes et celles de l'humanité. Je n'ai jamais ressenti de coupure entre l'Afrique et l'Europe en moi. Ce qui, pour certains, est une expérience de schizophrénie culturelle et morale, est depuis toujours, pour moi, une source de richesse et de découverte. Les deux sont en moi, les deux me nourrissent, les deux me façonnent et me définissent. Quand j'écris, mes modèles ne sont pas seulement le Roman de la rose ou Flaubert, Dostoïevski ou Camus, mais les siècles de tradition orale africaine. Si ma naissance physique est liée aux paysages arides de l'Etat libre d'Orange, où tout était déterminé par le sens de l'espace et la dureté de la pierre, ma naissance émotionnelle (comme j'en témoigne souvent) s'est produite au moment du massacre de Sharpeville, sur un banc du jardin du Luxembourg.

L'Afrique se profile au-dessous, à nouveau, ses contours adoucis par la distance. Cela semble être une métaphore de la distance et de la brume, qui trop souvent, pour trop de gens, cachent et déforment les faits bruts du continent au regard européen. Qu'il est facile de voir l'Afrique comme une scène de misère, une histoire de perte et d'échecs, une disgrâc