Le Caire de notre correspondante
En plein coeur du Caire, l'immeuble. Une odeur de désinfectant flotte sur le palier. Au Caire, la chose est plutôt rare. Comme au bas de l'immeuble, où se pressent les voitures et les vendeurs de fruits assis sur leur carriole, on respire d'ordinaire dans la capitale égyptienne un complexe mélange de gaz d'échappement et de poussière, d'effluves alimentaires et de pisse de chat. Mais, au troisième étage, chez Alaa El Aswany, c'est le détergent qui domine. Rien de bien étonnant : Alaa El Aswany est dentiste. Dans son cabinet au bord du Nil défile au gré du jour toute une humanité terrorisée par les caries et les abcès dentaires. Pour décontracter ses patients, le dentiste leur parle. Il les écoute beaucoup aussi, et recueille, le temps d'un détartrage, le bruit, les rires et les tourments de leurs mondes. Avec sa cravate rouge dépassant de sa blouse blanche, sa roulette à portée de main et son allure débonnaire, Alaa El Aswany a l'air de tout, sauf d'un écrivain. Et pourtant, il en est un, et pas des moindres, boxant en catégorie poids lourds, du côté des phénomènes littéraires. En publiant en 2002 l'Immeuble Yacoubian, il a lâché une vraie bombe, qui, en échappant par miracle aux fourches de la censure, a secoué l'Egypte bien au-delà de ses prétentieux cénacles littéraires. Sexe, corruption, religion, la trinité des tabous est disséquée dans cette autopsie de l'Egypte contemporaine, à la fois drôle et cruelle. Edité et immédiatement épuisé, ré