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Libération
Critique

La bouche pleine de Whitman.

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Trois histoires sur deux siècles sous l'égide du poète américain de «Feuilles d'herbe».
publié le 11 mai 2006 à 21h11

Sept ans ou 60 000 heures après les Heures, Michael Cunningham, 54 ans, se pique d'un nouveau triptyque : récit triple fondu cette fois en un roman noir à la surface duquel flottent des brins d'herbe fluo. Ici donc, comme dans les Heures, trois histoires voisines, trois époques, étroitement consanguines. Que signifie ce trois forcené chez Cunningham ? La triangulation des romans produirait-elle les chefs-d'oeuvre ? Sa recette, en ce qui le concerne, fonctionne plutôt bien. Il a le trois impeccable.

Le Livre des jours dure ainsi deux bons siècles : 1900 d'abord, et une famille plus que pauvre à New York. Lucas y est un jeune «garçon difforme» qui a «la manie de s'exprimer en vers». Il parle la bouche pleine de Walt Whitman ; ce puissant poète américain, auteur d'un unique recueil (Feuilles d'herbe ); accessoirement l'un des derniers amoureux sincères du monde entier. Qui dit des choses aussi impossibles que : «L'herbe est la preuve que la mort n'existe pas.» Lucas donc, qui doit travailler dur en usine, façonner des pièces de métal dont il ignore la fonction. Lucas en quête d'âme, cette «vigueur arrogante, indestructible. Il espérait que le livre pourrait la lui insuffler». Le livre, c'est Feuilles d'herbe ; et le monde tout autour, à l'arrachée : sa petite mère mourante, «convaincue que le ciel était une Irlande où personne ne mourait de faim». Broadway, où il s'aventure avec «l'impression d'être un espion envoyé dans un autre pays, un royaume de riches». Il déniche un bol na