Créée durant l'Ancien Régime pour alimenter les galères puis les bagnes portuaires, la chaîne des forçats aurait dû disparaître au début de la Révolution. Sinistre cérémonie expiatoire, ce long défilé de corps ferrés et meurtris était en effet aux antipodes du programme des Constituants, qui prônaient une pénalité rationnelle, soucieuse de réprimer mais aussi d'amender. Elle subsista pourtant, au nom de la sécurité publique, et connut même son apogée au début du XIXe siècle : 12 000 forçats séjournaient alors dans les bagnes de Toulon, Brest, Rochefort ou Lorient. Sylvain Rappaport a mené sur le maintien de cette «horreur légale» une très minutieuse enquête, qui en restitue la logique punitive et sociale.
Institution totale, la chaîne était d'abord un moyen de transport sûr et efficace, qui permettait de vider périodiquement les prisons. Confiés par adjudication à des entrepreneurs privés qui en tiraient d'assez jolis profits, ces immenses convois de 300 à 500 forçats s'ébrouaient deux à trois fois par an. On voyageait à pied, en tombereaux ou en barges à charbon : il fallait trois semaines pour gagner Brest, cinq pour atteindre Toulon. L'épreuve était évidemment terrible, mais la chaîne était aussi un supplice destiné à briser jusqu'au plus résolu. La soumission des corps y était absolue : marqués au fer rouge, réunis deux par eux par un collier de fer, mis à nu et humiliés à chaque halte, les forçats y faisaient l'expérience continue de la souffrance et de la dégradation.
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