Les liens qui attachent Pierre Bouretz à Hannah Arendt ne sont pas près de se distendre. Ailleurs (1), il a produit une synthèse de sa pensée, ici, dans Qu'appelle-t-on philosopher ?, il entend explorer les voies, ni droites ni connues à l'avance, indécises et souvent périlleuses, qui, d'une vie, conduisent à une oeuvre philosophique. L'enquête fait fond sur le désormais célèbre Journal de pensée de Hannah Arendt (1906-1975), paru l'an dernier au Seuil, mais emprunte aussi à l'expérience de Bouretz lui-même, ses tâtonnements, ses réussites puisque l'humble ambition de ce livre serait finalement d'éclairer, à travers l'étude méticuleuse de la manière de procéder d'un seul, le travail de tous les philosophes.
En juin 1950, lorsqu'elle commence le Denktagebuch (Journal de pensée), qui se poursuivra pendant vingt-trois ans, Hannah Arendt ne sait pas trop quel philosophe devenir. Non pas celui plus ou moins prévisible, qu'elle aurait pu être après sa rencontre avec Heidegger et la thèse sur le Concept d'amour chez saint Augustin dirigée par Karl Jaspers dans les années 30, mais sans doute un autre, à inventer après les camps et la destruction des juifs d'Europe qui aura connu la fuite vers la France, l'exil aux Etats-Unis, avec tout ce que cela comporte de dénuement, désarroi, misère. Il fallait donc conceptualiser tout cela, penser avec tout cela, se demandant jusqu'à quel point l'activité de penser fait partie des conditions qui poussent l'homme à éviter le mal. Sur la con