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Libération
Critique

La planète Marsé

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Les paroles et les corps des putes prises au repos, quand elles flottent entre clients, souvenirs, tristesse et désirs.
publié le 1er juin 2006 à 21h39

Barcelone envoyé spécial

La première phrase du nouveau roman de Juan Marsé est une citation : «Le comportement d'un cadavre dans la mer est imprévisible.» Elle est dans la bouche du capitaine de l'Alhambra II, un bateau qui fait la traversée Barcelone-Palma. Le cadavre est une jeune femme. Elle a sauté du bateau. Son identité est inconnue. Cette phrase a déjà été utilisée par l'écrivain, dans Adieu la vie, adieu l'amour. Le roman fut écrit sous Franco, entre 1968 et 1970, puis censuré. Marsé avait 35 ans. En espagnol, le livre s'intitule : Si te dicen que cai... «Si on te dit que je suis tombé...» le début de l'hymne de la Phalange. En travaillant sur l'oeuvre, un étudiant a retrouvé le compte rendu des censeurs. Il date du 20 octobre 1973 : «Nous considérons simplement ce roman comme impossible à catégoriser. Nous avons signalé des insultes au pouvoir («el yugo») et des flèches envers ce qu'il appelle l'araignée noire, [...] des scènes de tortures par la garde civile et des phalangistes. [...] Mais, plus que tout, ce roman est une porcherie» : «Tout est mélangé avec des putes, des pédés, des gens de mauvaise vie... c'est peut-être réaliste, mais ça donne une image très déformée et calomnieuse de l'Espagne.» Ce n'est pas une image fausse des romans de Marsé : les censeurs sont des lecteurs sérieux. Malheureusement, ils sont limités : le style finit par mourir dans l'oeil de leur vertu.

Adieu la vie, adieu l'amour raconte l'énergie d'un groupe d'adolescents dans le Barcelone po