Un soir, à Buenos Aires, vous êtes assis dans un fauteuil au milieu d'un patio. Ce patio «est la pente/ par quoi le ciel entre dans la maison» (1). Vous y vieillissez et vous sentez soudain que, si la vie n'est rien d'autre qu'une histoire sans légende, sans étymologie et sans mythe, vous finirez par disparaître. C'est alors que Borges apparaît. Il vient vous rajeunir. Il vous raconte la vie et l'oeuvre d'un vieux génie saxon ou britannique, l'auteur d'une saga, d'un grand poème médiéval ou d'un roman, l'épopée d'un Viking, de Browning, de Dickens ou de Stevenson ; mais il le raconte si bien, avec un tel naturel, de manière si précise, avec cette innocence d'enfant et cette ruse d'ancêtre qui lui sont propres, qu'il devient l'histoire elle-même, et tous ceux qui l'ont écrite ou vécue dans un équilibre parfait entre jeu, culture, émerveillement et distanciation. On est en 1966. Il a 67 ans. Du 14 octobre au 14 décembre, il donne cette année-là dans l'université de la capitale argentine vingt-cinq cours de littérature anglaise. Des étudiants les enregistrent. Les retranscriptions sont aujourd'hui traduites.
Les courts essais et les chroniques encore plus brèves publiées par l'écrivain au cours des années trente dans la revue El Hogar (2) lui ont permis de faire de la critique littéraire (ou cinématographique) une oeuvre qui n'ennuie jamais (et même souvent moins que les livres qu'elle aborde). Ces cours de littérature anglaise, quoique tombés de l'oral, sont du même niveau. B