L'ogre a les yeux bleus. Il reçoit en sa tanière, avec une splendeur et une allégresse égales aux difficultés qu'il fait pour en ouvrir les portes. Il gîte dans un manoir nivernais où il abrite son commerce bibliophile (il vend sur catalogue) et sa solitude érudite (partagée par un secrétaire-ami-héritier-ancien charpentier). Quand ça lui chante, quand ça lui convient, Gérard Oberlé rompt le silence des prairies et des bois, par des ripailles où spirituel et spiritueux riment volontiers. Au-dessus des têtes, les pièces regorgent de livres anciens, comme dans son grenier d'enfance alsacien, ancienne bibliothèque municipale abandonnée par les Allemands. La cave, elle, recèle des vins qu'il refuse de thésauriser en dégustateur à lèvres avaricieuses, et qu'il s'envoie à belles lampées de jouisseur. Marchand, éditeur, mais aussi «écrivain du dimanche» autodéprécié aux mots choisis et à la reconnaissance grandissante, il vient de rédiger un éloge amusé du vin qui saoule et des ivresses qui apaisent. Il écrit : «Le cul des bouteilles m'a servi de lorgnette et le verre à cocktail de kaléidoscope. Disons que ma vision du monde est un peu trouble. Une chance ! Quand je verrai les choses comme elles sont réellement il sera temps de fermer boutique.» Mécontemporain battant l'époque comme plâtre, il oscille entre mélancolie allemande et faconde rabelaisienne pour raconter un itinéraire pas si vin. Et sans oublier de resservir son voisin.
Premier vin. Un «Silex», un pouilly-fumé d