Le travail de Martin Suter, né à Zurich en 1948, est toujours de jouer avec les conventions du roman policier. Les règles du genre font de celui-ci le paradis de l'interprétation. Sherlock Holmes ou Hercule Poirot, quand ils sont en possession de tout ce qu'ils élèvent au rang d'indices ou de témoignages, ont la capacité de donner la solution de l'intrigue, c'est-à-dire d'interpréter si merveilleusement tout ce qui leur est proposé que la réalité, l'unique réalité, en coule de source. Dans Small world, son premier roman traduit, Martin Suter faisait de son héros un vieil homme dont on comprenait petit à petit qu'il était frappé par la maladie d'Alzheimer, de sorte que son comportement et ses déclarations étaient difficiles à décrypter normalement. L'héroïne du Diable de Milan est dans une situation inverse mais qui complique tout autant les choses. Elle est atteinte de synesthésie, un médecin lui expliquant ainsi le mot : «Il signifie à peu près sensation conjointe. Les perceptions s'associent. Les bruits prennent des couleurs ou des formes. Les contacts ont des parfums ou un goût.» Quand Sonia est en face d'un arc-en-ciel, elle y découvre une couleur supplémentaire, qui n'existe pas mais qu'elle peut décrire : «Elle rappelait l'odeur du coriandre, et son contact ressemblait à celui d'une fourrure de taupe.»
A priori, l'intrigue est la suivante : une jeune femme a tout oublié de son passé sexuel récent après une prise de LSD, elle ne se sent pas bi