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Libération
Critique

Xénia régnait

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Arno Bertina oblige des fantômes furieux à une fuite stationnaire.
publié le 7 septembre 2006 à 23h11

Arno Bertina est un contemporain baroque (ce qui est une question et non une réponse, dirait Senges). Il convoque le mythe d'Actéon au centre de son Anima motrix, une histoire de chasseur métamorphosé en cerf pour avoir vu Diane au bain et qui se fait dévorer par ses propres chiens. Ce gimmick lancinant de la poésie du début du XVIIe siècle «travaille au corps la folie», comme l'indique Bertina. C'est le sujet renversé de son roman : un corps qui se (re) constitue. Le même déchiquetage arrange J'ai appris à ne pas rire du démon, portrait diffracté du musicien country Johnny Cash dans la collection «Sessions» de Naïve (où l'on avait lu le Jagger de François Bégaudeau ou le Bowie d'Oliver Rohe, ses comparses de la revue Inculte).

«La voiture était spacieuse ­ au-dedans, gloubiboulga de mots qui me faisaient rire l'oreille, de phrases brûlées comme des cartouches n'atteignant pas leur cible. Dont une proposition sur deux était engloutie par l'ombre qui s'avançait à l'entrée des tunnels nombreux depuis le passage de la frontière.» L'incipit est une claire métaphore de ce qui nous attend : l'effacement à mesure, inéluctable puisque, de même que l'ombre s'avance, le texte happe son lecteur. Mais les phrases y claqueront en effet comme des coups de feu. On a passé la frontière dans une fuite immobile (sentiment qui tient la moitié du roman), c'est on ne peut plus borderline, sous la dictée d'une âme motrice. Bertina emprunte le