De qui aimeriez-vous parler le jour où vous allez mourir ? Vers 1990, Ernst Pawel comprend qu'un cancer le tue. A l'entrée de ses mémoires posthumes, Jours heureux dans les années noires, il écrit : «Je suis en train de mourir, mais je voudrais que la mort arrive à la fin de ma vie, plutôt que de passer les jours qui me restent à l'anticiper et à en porter le deuil.» Pour un écrivain, la fin de la vie est souvent celle d'un livre. C'est une manière d'oublier ce qui ne suivra plus. Pawel a écrit des romans, des biographies de Kafka et de Herzl (1). Il tire moins le rideau avec ces mémoires, inaboutis et presque négligés, qu'avec le Poète mourant, fini juste avant. Ce bref testament conte et rumine les dernières années d'Heinrich Heine.
Heine est l'un des grands poètes allemands, le premier de sa génération. Quand elle naît, sa langue est neuve. Elle l'est restée. La violence et une délicatesse de sarcasme passent au crin le romantisme, la complaisance. Son «ironie sous-jacente»,«parfois tout sauf drôle», est, selon Pawel, difficile à saisir pour qui n'est pas germanophone. Elle l'est autant pour les sentimentalistes et «bienfaiteurs de l'humanité», espèce que Heine (et visiblement Pawel) exècre : «Jamais les temps, écrit le poète en 1847, n'avaient été meilleurs pour l'ineptie vertueuse, pour les grandes convictions qui bredouillent et les nobles sentiments qui ne disent rien du tout.»
Avec de telles dispositions, il est n