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Libération
Critique

La femme qui est dans mon livre

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On aime encore mieux sans espoir : une fable de Mario Vargas Llosa.
publié le 16 novembre 2006 à 0h06

La femme qu'on aime est celle qu'on n'aura pas. Adolescent, le Péruvien Ricardo Somocurcio tombe amoureux d'une «vilaine fille» baptisée Lily. On est au début des années 1950. Il est d'une famille aisée de Lima. Elle dit qu'elle vient du Chili. Si elle se laisse embrasser, elle ne rend aucun baiser. Froide, astringente, indifférente, comme détachée des émotions partagées, elle rit déjà des sentiments et des désirs qu'elle inspire. A trois reprises, elle refuse de dire au garçon qu'elle l'aime. Le soir où il va le lui redemander, la bonne société découvre qu'elle n'est pas chilienne, mais péruvienne des quartiers pauvres. La vie, quel beau, quel foutu mensonge. Humiliée, furieuse, Lily disparaît.

Ricardo pense l'oublier : «Ce dernier jour de l'été 1950 ­ je venais d'avoir quinze ans moi aussi ­ marqua mon entrée véritable dans la vie, celle qui sépare les châteaux en Espagne, les mirages et les fables, de la dure réalité.» Ici, Vargas Llosa lui-même semble parler : le célèbre grand homme né au Pérou dans les mêmes années que Ricardo, l'ennuyeux professeur de réalisme standardisé. Mais un roman est toujours plus intéressant que celui qui l'écrit ­ pas moins cruel, mais plus libre. Pendant 400 pages, la «dure réalité» de Ricardo sera informée par son château en Espagne ­ et même vécue en son donjon. Le sable dont est fait l'hispanique édifice est plus solide, plus mémorable, que les lames qui pourraient le détruire.

Ricardo va les éprouver. Tours et détour