Votre dernier ouvrage, Raga, n'est pas un roman, mais un récit de voyageur, écrit à la demande de l'écrivain antillais Edouard Glissant.
Quand Edouard Glissant m'a suggéré un voyage à Vanuatu, j'ai aussitôt accepté. Comme si ce voyage m'avait été réservé depuis longtemps. Enfant, je rêvais d'aller aux Nouvelles-Hébrides. C'était toujours le même rêve, je voyais clairement le lieu, même si, dans mon rêve, il était plus plat, je distinguais un estuaire, des palétuviers, des pirogues qui glissaient, des gosses qui s'amusaient dans la rivière, des gens à la fois accueillants et malgré tout distants. Quand je faisais ce rêve, je savais que j'allais bien dormir, ce rêve annonçait le sommeil.
Ce rêve annonçait une bonne nuit et pourtant le début de votre livre est terrible. Une famille s'échappe d'un endroit que vous ne situez pas, pour aller dans un lieu sans guerre ni faim, un lieu où la grand-mère ne craindra plus d'être mangée. Le voyage en mer est épouvantable, l'enfant échappant par miracle à une noyade. S'agit-il d'une légende locale ?
Non. Souvent dans mes livres, je mêle des éléments de ma vie. Ma famille a connu un voyage similaire. A la Révolution française, au temps de la Terreur, elle devait fuir la Bretagne. Mon ancêtre est parti avec sa femme et un enfant très jeune. Leur voyage a dû être terrifiant, parce que, arrivés à Maurice, ils n'en sont jamais repartis, alors qu'ils prévoyaient d'aller s'installer en Inde.
Enfant, ce récit vous a-t-il été raconté ?
Mon ancêtre a écrit un journal de ce voyage. Très sobre, il signalait les faits, rien que les faits, racontait comment un mât avait manqué l'écraser, comment sa fille avait failli disparaître dans les eaux, comment ils étaient malades tout le temps. Ce voyage que j'avais envie de revivre par l'imaginaire, je l'ai transposé là. Voilà pourquoi j'ai accepté la proposition de Glissant. J'y ai vu une belle occasion : contrairement au roman, il y avait là matière à confessions.
Le livre s'inscrit dans la collection «Peuples de l'eau», qui publie les textes d'écrivains partis à la rencontre de peuples accessibles par seule voie d'eau. Quels rapports entretenez-vous avec l'insularité ?
Je ne sais pas si j'ai des îles une image apaisante ou écrasante, mais il