Les voix parlent depuis ce qui leur manque : la vie qui eut lieu là-bas dans un village d'Anatolie, au début du XXe siècle. Elles sont grecques et turques, chrétiennes et musulmanes. Longtemps, elles cohabitèrent. La vie en commun était plus douce (ou moins âpre) que dans la Bosnie décrite par les romans d'Ivo Andric. Elle n'était pas idéale. L'enfer, c'est la culture des autres ; la sienne n'a rien d'un paradis.
En 1923, à l'issue d'une guerre entre la Grèce et la Turquie, on les a triées : 1,2 million d'habitants furent déplacés sans excès d'humanité. La Grèce aux Grecs, la Turquie aux Turcs. Les voix grecques quittent le village d'Eskibahtché, les turques demeurent. Entre les deux, des morts, de l'absence, des humiliations, de la mémoire par le vide. Chaque voix parle dans l'ombre de celle qui n'est plus là. Paix, guerre, exode : ce sont les trois temps des Oiseaux sans ailes. En brefs chapitres, une vie d'homme célèbre, racontée à la troisième personne, fait contrepoint à ces hommes sans destin : celle d'Atatürk, fondateur de la Turquie laïque.
Parfois, comme dans l'Odyssée, les voix du livre se plaignent. Une Grecque exilée, Droussoula, a perdu son fils, son mari, noyés en mer pendant l'exode. Elle dit : «Je sais que tout, ma peine, mes souvenirs, tout disparaîtra, et ce sera comme si ça n'avait jamais existé. Je me demande pourquoi Dieu crée toutes ces choses pour les laisser disparaître ensuite. Pourquoi Dieu nous donne-t-il un jardin et y met-il un ser