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Libération
Critique

Zambrano des abysses

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Traduction de «l'Homme et le divin», oeuvre majeure de la philosophe espagnole, à l'écoute de ce que l'existence a de plus mystérieux.
publié le 23 novembre 2006 à 0h11

Entre l'ombre et la lumière, il y a la clairière ­ une clarté filtrée, timide et courageuse, qui lutte contre les herbes mauvaises et les frondaisons, mais qui jamais ne s'épuise. Femme réservée et tenace, femme de l'errance et de l'espérance, femme du murmure et de la parole silencieuse qui porte parfois plus loin que le cri, María Zambrano ne peut avoir de demeure que là, dans la «clairière du bois» (1). Elle s'y tient visible et invisible. Sa place même dans la philosophie contemporaine est toujours entre «l'obscur et la transparence». Si elle figure désormais aux côtés des «grands d'Espagne», José Ortega y Gasset et Miguel de Unamuno, si elle est auréolée du prix Cervantes (1988), attribué pour la première fois à une femme pour une «obra de pensamiento», elle n'a cependant pas encore de reconnaissance universelle. Mais, de cela, elle ne se serait jamais plainte. «Passion incomplète», écrivait-elle, que celle de l'homme «qui n'a pas vécu un temps parmi les oliviers, loin de tout et sans ombre».

De María Zambrano, outre l'Inspiration continue, un recueil composé par Jean-Marc Sourdillon, paraît aujourd'hui l'Homme et le divin, son plus grand livre (1955). Même si l'on tentait d'évoquer quelques autres figures féminines de la philosophie, d'Edith Stein à Simone Weil, et si, pour l'écriture, on songeait à Maître Eckhart ou à saint Jean de la Croix, on ne ferait pas disparaître l'impression de «dépaysement» que provoquent les ouvrages