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Libération
Critique

Handke au Paradis des adieux

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Peter Handke réinvente Don Juan, un aventurier qui regarde sans séduire.
publié le 30 novembre 2006 à 0h17

«Quoi ? dit le Dom Juan de Molière à son valet Sganarelle. Tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ?» Pas plus que lui, le Don Juan de Peter Handke (1) ne veut renoncer au monde. Mais comment le saisir ? Par l'intense modestie de l'instant, répond-il. Ni plus, ni moins. Cet instant vécu naît par la fuite. Elle n'est pas voulue, mais nécessaire. Elle précède l'instant, l'enveloppe, le suit : «En paix, [Don Juan] se voyait en fuite, ses fuites, c'était la paix même ; il était à ce point tranquille, seulement en fuite.» Don Juan a le courage de fuir, de s'absenter, pour être au monde : renaissant là où Molière et Mozart l'avaient laissé, c'est un personnage de Peter Handke.

C'est par la fuite que Don Juan entre dans le livre ­ dans ce que l'auteur présente comme sa seule, sa véritable histoire : celle d'un héros de la sensation vraie. Poursuivi par un couple à moto dont il a surpris les ébats dans la forêt, Don Juan pénètre chez un aubergiste sans client, un «raté», installé près des ruines de l'abbaye de Port-Royal-des-Champs, dans les Yvelines. L'abbaye où s'épanouit, au XVIIe siècle, le jansénisme, n'intervient pas sans raison : elle symbolisa le désert, le retrait. L'aubergiste rappelle aux lecteurs qu'elle est liée à deux oeuvres fondamentales de la littérature française : les Provinciales, de Pascal ; l'Abrégé de l'histoire de Port-Royal,