Menu
Libération
Critique

Sois gay, Corydon

Article réservé aux abonnés
publié le 30 novembre 2006 à 0h17

Parmi les livres de Gide, Corydon n'est pas celui qu'on lit aujourd'hui le plus spontanément. Et Monique Nemer, qui le met au centre de son essai, n'en fait pas la promotion. Plus que le texte, des «dialogues socratiques» sur l'homosexualité, déjà «datés» quand ils paraissent en 1924 (l'année où l'auteur est sacré «contemporain capital» !), c'est la publication qui l'intéresse, l'«acte», le «geste radicalement neuf». Contrairement à Marcel Proust, à Jean Cocteau et même à Oscar Wilde, emprisonné pour des moeurs littéralement innommables, André Gide sort du non-dit en échange de quoi la France du XXe siècle commençant tolérait l'homosexualité. «Les pédérastes, dont je suis», écrit-il dans son Journal, qui constitue, avec Corydon et Si le grain ne meurt (1926), une sorte de trilogie où il persiste à se dire tel qu'il est, et signe. Son «je» qu'il ne cache pas est doublement scandaleux. Non seulement il rompt avec la discrétion, l'accord tacite, les arrangements, mais sa mission ne s'arrête pas au coming out, il montre de la jubilation là où il est au mieux permis de voir «un mal et un malheur». Il exécute son forfait à travers la littérature et, ce faisant, il inaugure «l'inscription explicite de la sexualité», pas seulement l'homosexualité, dans ladite littérature. Le livre de Monique Nemer situe les innovations gidiennes dans le contexte intellectuel, social et juridique de l'ép