La porte en bois est fermée, la grille marron tirée et le verre de la vitrine masqué par un grand panneau de papier kraft griffonné d'un double adieu, bilingue : «La librairie est définitivement fermée. Au Revoir. Adios.» La librairie hispano-américaine de la rue Monsieur-le-Prince a tombé le rideau.
Elles étaient deux à Paris. Deux institutions, qui ont, pendant des décennies, polarisé la clientèle des hispanisants de la capitale et des exilés d'Espagne et d'Amérique latine : la librairie espagnole de la rue de Seine, à Saint-Germain-des-Prés, que fréquentait, dans les années cinquante-soixante, toute l'intelligentsia transpyrénéenne, et celle-là, moins «mondaine» et plus universitaire, qui lui faisait pendant, près du Luxembourg, de la Sorbonne et de l'Institut hispanique. Victime de la spéculation immobilière et de la flambée des loyers, la première, créée en 1948 par Antonio Soriano, un exilé de la guerre civile, a aujourd'hui dû céder la place à un magasin de meubles pour se réimplanter près de Montparnasse, rue Littré. La seconde, créée un an auparavant, en 1947, ne lui aura pas survécu beaucoup plus longtemps.
Couronnée d'une enseigne qui célébrait plutôt que le commerce des livres, les «Ediciones hispanoamericanas», c'était une librairie à l'ancienne : petite, obscure, l'air d'un antre pour érudits, un peu poussiéreux et désordonné. Les habitués savaient, eux, que, dans cette caverne, tout était merveilleusement rangé et l'espace soigneusement agencé, réparti mo