«C'est tuant les souvenirs», voilà la phrase que Christian Gailly, qui n'en manque pas une, a choisie pour exergue de son dernier roman, paru chez Minuit. Elle est de Samuel Beckett, un familier de la maison. Le livre ne devrait tuer personne puisqu'il s'appelle les Oubliés. Pourtant si. Et, dès le premier paragraphe que voici, comme pour nous faire croire qu'on prend le livre en route, qu'on aurait loupé le début, pas une, qu'il n'en manque, Gailly : «Il se trouve simplement que l'un des deux occupants de la voiture s'appelait Paul Schooner. Il est mort. Pas dans l'accident. On vient de le voir. Peu de temps après. Des suites de l'accident. L'autre occupant, c'était Albert Brighton.»
Autant dire Schooner et Brighton. Les deux qui faisaient la paire, avant que... on vient de le voir. Ils sont journalistes, non pas des découvreurs de vérités cachées, des enquêteurs farfouilleurs, des analystes finauds, des baroudeurs dépoitraillés, non, ce sont des journalistes à l'ancienne, photo argentique et magnéto à bandes, des planqués de l'urgence, ils tiennent une rubrique hebdomadaire, Que sont-ils devenus ?, ils vont à la rencontre d'artistes qui furent un temps inoubliables, puis, vous savez ce que c'est, d'où le titre, les Oubliés. Ils appellent cela «des missions», parce que ça fait correspondants de guerre, la carte de presse dans le ruban du chapeau, ils sont sans illusion ni cynisme, ils font bien leur boulot, ils savent qu'il n'est pas nécess