Le monde rétrécit sans joie, l'un de ceux qui a le plus contribué à l'élargir disparaît : l'écrivain et reporter polonais Ryszard Kapuscinski est mort mardi à 74 ans, après une opération chirurgicale, à Varsovie. C'est là qu'après ses voyages il écrivait ses livres, lentement, à la main, avec difficulté. Il y avait du conteur en lui. Ce qu'il contait, c'étaient des choses vues pendant un demi-siècle : en Afrique, en Amérique latine, en URSS, là où l'Histoire creuse et fracture la condition humaine.
Sorcier. Dans Ebène (1), suite de textes sur l'Afrique qu'il ne cessa d'arpenter, d'espoirs en coups d'Etat et de rires en massacres, un sorcier le sauve de quelques sortilèges (non sans mépris ou dignité, parfois ça se ressemble), tandis qu'il croupit dans un quartier de Lagos. Kapuscinski n'a sauvé de rien le monde qu'il a décrit, mais John Le Carré n'a peu eu tort de le baptiser «extraordinaire sorcier du reportage». Il est l'un des rares qui ait donné à ce genre une légèreté tragique : voir, sentir, comprendre, rapprocher le détail de la vie et le fond des circonstances, articuler le destin des héros et l'expérience quotidienne des autres, se mettre en scène quand c'est nécessaire, ne jamais laisser mourir le récit en chaire. La morale, chez lui, n'est pas tirée des situations et des faits : elle vit en eux sans se montrer.
«Pour comprendre l'Afrique, disait-il, il faut lire Shakespeare.» Pour comprendre le monde, ses drames,