Peut-on croire, à l'heure où les événements surgissent et disparaissent aussi vite, sans laisser de trace, qu'il y a à peine un demi-siècle ils étaient expulsés de l'histoire, du moins par les anthropologues et les historiens, Claude Lévi-Strauss ou Fernand Braudel par exemple, qui ne juraient alors que par la structure et la longue durée. En ce temps-là, en effet, l'histoire était censée avancer si lentement que rien ne semblait pouvoir la troubler, comme si elle était finie. Puis sont survenus les «Evénements» de mai 1968 qui non seulement enivrèrent une France qui s'ennuyait, mais redonnèrent une chance au nouveau, à l'inattendu, dans la société certes, mais aussi dans les sciences humaines, chargées dès lors de faire le tri dans le changement entre l'aléatoire et le nécessaire. C'est sur cette histoire que revient, dans la Découverte du vrai sauvage et autres essais, Marshall Sahlins, sans doute le plus grand anthropologue américain de sa génération, qui, après avoir travaillé en 1968 et 1969 à Paris avec Claude Lévi-Strauss, en a été par la suite un disciple fervent et un contradicteur passionné. A Marshall Sahlins, on doit des ouvrages fondamentaux tels Age de pierre, âge d'abondance (Gallimard, 1976) ou Des îles dans l'histoire (Le Seuil/Gallimard, 1989).
Marshall Sahlins est né à Chicago, en 1930, dans une famille aisée d'origine russe (son père était médecin), venue aux Etats-Unis pour réaliser le rêve américain. Chicago était alors énergiquement