C'est la guerre qui fait le point sur l'homme et sur le peu qu'il vaut. Arturo Perez-Reverte, un bon narrateur à maxillaires, paraît en tout cas le penser ; le personnage central de son nouveau roman, Andrés Faulques, également. Faulques, ancien photographe de guerre, a une cinquantaine d'années, comme l'auteur. Sa vie est faite. Ses illusions sont oubliées. Il croit qu'on ne peut «contempler le monde qu'à travers les deux seuls systèmes possibles : la logique et la guerre». Quand le roman débute, il s'est voué au premier.
Après trente ans de baroud, il a perdu sur une mine la femme qu'il aimait et qui allait le quitter. Elle s'appelait Olvido («oubli» en espagnol). Ancien mannequin, elle était également photographe. Ils travaillaient côte à côte, mais pas ensemble. Dans la guerre, elle ne photographiait que des natures mortes : un pont, une maison, une poupée détruite. La mémoire de Faulques définit Olvido comme une «touriste du désastre». Le macho, c'est elle : une lame dense et parfaite, un désespoir hautain, de la sensualité et point de lendemain.
Faulques la photographie tandis qu'elle meurt, sans savoir pourquoi. Par réflexe ? Ou pour une raison plus inavouable ? Plus tard, il suit le procès d'un tueur serbe. L'homme raconte paisiblement le viol, la torture et l'assassinat d'une jeune Bosniaque. Faulques tient le visage de l'homme dans l'objectif : «Un visage insignifiant, vulgaire, qu'en temps de paix on aurait considéré comme celui d'un pauvre type.»