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Libération
Critique

L'être de refus

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«Correspondance générale» de Roger Martin du Gard, ultimes tomes. L'auteur des «Thibault» avait l'art de dire non.
publié le 15 février 2007 à 6h03

Jusqu'à sa mort en 1958, à 77 ans, Roger Martin du Gard est l'homme qui refuse. Il refuse la promiscuité du manège social auquel lui donne accès sa notoriété : membre de la première Nouvelle Revue française (NRF) et du cénacle gidien, auteur célébré des Thibault, prix Nobel de littérature 1937, homme plein d'abstention résistante pendant la guerre. Il en refuse les codes, les jurys, les médailles, les préfaces, les hommages, les vanités incertaines, les complaisances plus ou moins subtiles, les médiocrités déguisées en art de vivre et d'aimer. Il refuse même les «lecteurs modernes»,«toujours pressés, gâtés par le cinéma, qui cherchent à deviner vite plutôt qu'à comprendre, et qui s'imaginent avoir pigé dès qu'un embryon de jugement s'ébauche dans leur tête»(lettre du 5 août 1952).

Bien entendu, il connaît la carte du monde des lettres et n'hésite pas, quand il le faut, à l'exploiter. Il est exceptionnel qu'il agisse pour lui-même ou par stratégie. Franc, stoïque, dépourvu de toute morale de surface, sans illusions et d'un orgueil de chêne, il refuse les dividendes immédiats de la gloire : la fréquentation de ceux qu'on ne choisit pas. Les deux derniers tomes de sa correspondance générale ne présentent qu'un choix : écrivant plusieurs lettres par jour, Martin du Gard se répète beaucoup. Ils s'inscrivent par ailleurs, pour cette période, dans un cadre plus vaste : correspondance avec Gide, mais aussi troisième tome de son journal, dans lequel il a recopié d