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Interview

Si bêtes en ce miroir

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Sur «l'Histoire naturelle», les regards croisés d'un historien et d'un poète philosophe.
publié le 5 avril 2007 à 7h02

Michel Pastoureau

Historien, auteur de «L'Ours. Histoire d'un roi déchu» (Seuil).

Le problème de Buffon, je crois, est qu'il écrit trop bien. Les savants d'aujourd'hui, comme ses contemporains, sont gênés par ce style qui, à mon avis, est la prose française à son apogée. Cette qualité est presque une gêne, elle écrase un peu tout, il suffit de lire Buffon à haute voix, on est ébloui par la majesté de son style. La plupart de ses notices commencent comme des fables («Le loup est un de ces animaux dont l'appétit pour la chair»), elles sont truffées de comparaisons avec l'homme, qui relèvent plus du conte ou de la poésie que de la science.

Quant à la zoologie, Buffon est à la fois très moderne et très passéiste. D'un côté, son Histoire naturelle est le réceptacle d'un grand nombre de traditions et de savoirs antérieurs, elle est le point d'aboutissement d'idées qui viennent de l'Antiquité et du Moyen Age. De l'autre, elle annonce déjà le transformisme, l'évolution des espèces. Dans la dernière partie de son oeuvre, on sent bien que Buffon ne croit plus à la fixité des espèces, mais plutôt à ce qui deviendra le transformisme chez Lamarck, et l'évolution chez Darwin. Mais il y a une hiérarchie: on a l'impression que les animaux qu'il aime, les grands et beaux et nobles animaux, le cheval, le lion, ont été créés par la nature de toute éternité. Alors que les petits, les bâtards, les inrangeables, ont évolué au fil des millénaires.

Beaucoup de ses chapitres sont conçus se