De l'artiste, le XIXe siècle nous a légué quelques images fortes, dominées par la figure du créateur maudit, qui, de sa mansarde misérable, déclare à la morale bourgeoise une guerre désespérée. Ces représentations ont nourri l'imaginaire romantique et ont sans doute pesé sur quelques trajectoires (on songe à Courbet qui voulait vivre «en sauvage», à Van Gogh ou à Gauguin), mais elles ne rendent guère compte des profondes transformations qui affectent le métier d'artiste au XIXe siècle. Dans une synthèse vivante et solidement informée, Anne Martin-Fugier nous invite à revisiter ce moment fondateur de notre modernité culturelle.
Loin d'être le triomphe de la bohème tragique, le XIXe siècle qu'elle dépeint est bien celui de la construction du marché de l'art contemporain. Le dispositif traditionnel, fondé sur le primat de l'Ecole des beaux-arts, sur la compétition pour le prix de Rome et sur la tyrannie du Salon, où il fallait absolument être accepté pour avoir une chance d'être reconnu, y fut en effet détrôné au profit d'un système peu à peu régi par les «mouvements spéculatifs sur l'art contemporain». De multiples facteurs expliquent ce changement. Le nombre d'artistes ne cessa d'augmenter : 250 en 1800, 700 au milieu du siècle, 4 000 en 1914. Cette pression fit éclater le monopole académique du Salon et donna naissance, dans la seconde moitié du siècle, à une pléiade de nouveaux lieux d'exposition : Salon «des refusés» en 1863 (Manet y exposa le Déjeun