Il y a des vies qui ne riment à rien. Celle d'Aragon rime à presque tout. On trouve dans ses poèmes beaucoup de fleurs, de chevilles, d'enjambements, de grands maux, de plus grands remèdes, de virtuosité spontanée et de piano mécanique. La beauté est rarement l'absente du bouquet. C'est elle plutôt qui le fait fleurir, accrochée «comme les fleurs des champs à des fleurs de serre», dans la tristesse, l'ostentation et avec rage.
Aragon, c'est d'abord ça : une colère vive, splendide, intacte, surréaliste, de lévrier dans un jeu de quilles. Début de «Faiblement dit» : «Je n'aime pas les gens qui crachent dans la soupe/Je n'aime pas les gens qu'un rien fait parler/Ou sourire/Je n'aime pas les gens qui lèchent les pages des livres/Sous le prétexte de les tourner/Je n'aime pas les gens qui me demandent/Où j'ai l'intention de passer la soirée/Je n'aime pas les gens.» Le poème est tiré de la Grande Gaîté. Le recueil, peu connu, date de 1929. L'année précédente, son auteur a tenté de se tuer, rompu avec Nancy Cunard, brûlé une partie du manuscrit de Défense de l'infini. Il a aussi rencontré Elsa Triolet, elle-même désespérée. Voilà son état : «Plus rien ne m'est cher pas même/La douceur étrange de l'été/Pas même/La colère et sa soeur la brebis/Je ne veux plus rêver je déteste/Le sommeil je ne veux plus/Rêver.» C'est chez lui un état fréquent.
La vie du neurasthénique au travail, comme il l'écrira dans les Poètes en 1960, est «un grand châte