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Libération
Critique

«Tu comprends, p'tit...»

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Jacques Henric, ancien de «Tel Quel», se souvient du prince communiste.
publié le 26 avril 2007 à 7h25

En 1950, Jacques Henric a 12 ans et son père l'amène à la Fête de l'Humanité. On s'attroupe devant un couple. «L'homme : costume gris, cravaté, cheveux coupés courts, raie sur le côté, disert, avenant ; la femme : menue, visage aux traits fins, mais sans grâce. De temps à autre, elle se penche vers l'homme, lui prend le bras, lui parle à l'oreille. Inquiète. Pas un sourire. Mon père : "Tu vois, c'est le grand poète de la Résistance. A côté c'est sa femme, une Russe."» Aragon et Elsa. Plus tard, Henric rentre au Parti et fait la connaissance d'Aragon. La figure de l'écrivain anime d'un bout à l'autre Politique, un livre contondant de souvenirs par éclats, très libre et assez méchant, où pas mal de comptes avec le milieu intellectuel sont réglés avec un certain négligé.

Un jour, Aragon amène Henric, dans sa DS noire Citroën avec chauffeur dans le nord de la France. Il s'agit de retrouver le lieu où, en 1918, porté disparu, le soldat Aragon vit une tombe portant son nom. Mais «le paysage a changé, les souvenirs se brouillent. Il remonte la vitre, se tasse sur son siège. Je le vois de profil. Il paraît las, il fait un geste brusque au chauffeur pour lui signifier qu'il est inutile de perdre son temps, qu'il faut filer [...] Il se tourne vers moi, me cite Joyce : "L'histoire est un cauchemar dont j'essaie de m'éveiller."» Puis il dit : «Tu comprends, p'tit, pourquoi mes amis et moi (allusion à Breton, à Drieu, à d'autres proches de sa génération) on a fichu