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Critique

Fous, à la faim défunts

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Dans les hôpitaux psychiatriques, pendant la guerre, 45 000 malades sont morts d'inanition, victimes de l'indifférence générale.
publié le 3 mai 2007 à 7h32

«Quelle triste existence que je mène dans cet asile ! Aucune liberté et mal nourri, toute la cuisine est faite à l'eau, rien qu'à l'eau. C'est avec inquiétude que je songe à mon avenir», écrit Joseph S. en août 1941 : il mourra de faim le 1er mai 1943, après quinze ans passés à l'hôpital psychiatrique. Une lettre parmi d'autres, comme il y en a tant dans le livre d'Isabelle von Bueltzingsloewen. En tout, ce sont près de 45 000 «internés» qui sont morts de faim dans les asiles psychiatriques pendant la guerre.

Une hécatombe ou une extermination ? Ce n'est pas jouer avec les mots que de poser la question, car depuis une vingtaine d'années, une ambiguïté volontaire demeurait. A l'image du livre, paru en 1987, d'un médecin psychiatre, Max Lafont. Un ouvrage qui fit grand bruit, au titre sans équivoque : l'Extermination douce. Un livre peu documenté, mais très convaincant. S'il reprenait ce que tout le milieu de la psychiatrie avait su ­ à savoir les milliers de morts de faim pendant la guerre dans les immenses asiles psychiatriques de France ­ l'auteur allait plus loin, suggérant qu'il y aurait eu comme une volonté délibérée, une «intentionnalité» de la part tant des autorités sanitaires que des autorités politiques pour arriver à ce sinistre résultat. En quelque sorte, la France aurait appliqué implicitement les théories eugénistes d'un Alexis Carrel, qui considérait les malades mentaux comme des êtres inutiles. Dix ans plus tard, un autre médecin psychiatre