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Libération
Critique

Le Grand Jeu

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Deux adolescents manipulent leur professeur. Comment les juger ? Sur l'échiquier des froides passions, la jeune romancière allemande Juli Zeh est reine.
publié le 3 mai 2007 à 7h32

L'intelligence et la poésie ensemble, dans un roman, ne se rencontrent pas tous les jours, ni même tous les ans. On les trouve s'épaulant l'une l'autre dans la Fille sans qualités, de Juli Zeh. Le sentiment de tenir un livre important est agréable. Il est ici d'autant plus réconfortant que l'auteur, née en 1974 à Bonn, ne cherche pas à fournir des clefs pour le passé. Elle nous parle de l'Amérique de Bush, du 11-Septembre et de Madrid, de la guerre du Golfe et de l'Irak, vus depuis un lycée allemand à la pédagogie libérale, et depuis une jeune génération qui passe pour apolitique et se veut plutôt pragmatique.

Le titre est un bien sûr un hommage revendiqué à l'Homme sans qualités de Robert Musil. Du moins le titre français, car le titre original allemand, Spieltrieb, renvoie au jeu qui dirige l'intrigue. Un des trois personnages principaux, les deux autres étant accessoirement ses élèves (du moins, en principe), admire tellement le chef-d'oeuvre de Musil qu'il en professe l'utilité publique : si on comprend ce texte «monstrueux», on est en mesure de tout comprendre. En référence à Musil, Juli Zeh intitule ses chapitres «Deux personnages sont écartés du récit avant que l'on en vienne au vendredi manqué», ou encore «Le monde est une lasagne». L'héroïne, Ada, «pensait souvent à l'homme sans qualités», elle se sent proche de lui : «A l'instar d'Ulrich, Ada se tenait moins pour un individu que pour la quintessence de l'esprit du temps.»

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