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Libération
Critique

Une bouffée de Diogène

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Un drôle de roman philosophique de Han Ryner, l'anarchiste individualiste.
publié le 17 mai 2007 à 7h48
(mis à jour le 17 mai 2007 à 7h48)

Quand il frappait à la porte d'une maison, pour quémander un morceau de pain, il se présentait ainsi : «bonjour, je suis l'Homme-Nature». On lui faisait volontiers l'aumône, moins par piété que par crainte. Avec sa bure, sa besace et son gros bâton, il avait l'air d'un franciscain un peu filou. «On s'étonnait qu'il ne fît point de signes de croix, qu'il ne donnât point de bénédictions.» Si on lui disait «Priez pour moi», il répondait : «Les vrais biens, c'est à soi-même qu'il faut les demander.» Ou : «Tu es le seul dieu assez puissant pour te rendre heureux.» Ou encore : «Le pain que tu donnes est le pain qui te nourrit le mieux.» A un vrai prêtre, qui menaçait de le faire «arrêter pour mendicité», il rétorqua : «tu veux dire "pour concurrence déloyale", petit faiseur de quêtes.» Il lui parla latin, puis grec, et allemand, anglais, espagnol, hébreu. Le curé, ne maniant que le latin de sacristie, grommelait «non intelligo». L'un criait : «Sequere Naturam», et l'autre, affolé, psalmodiait : «Sequere Christum.» Avant de s'enfuir, ce dernier lança : «Qu'êtes-vous donc ?» Et le mendiant : «citoyen du monde et fils de la nature.» Le commentaire des paysans qui les regardaient fut : «Ils sont aussi fous l'un que l'autre Ñ Oui, mais le curé est plus bête.»

Homme-Nature n'était pas son vrai nom. Avec les pièces de monnaie qui lui restaient, il avait fait des ri