Si ce n'était pas devenu une insulte par ces temps de chasse à courre au gibier à plume, on écrirait sans crainte d'être mal compris que Lieve Joris est l'une des meilleures journalistes au monde. Oui, journaliste, comme Hérodote a pu l'être et aussi Ibn Khaldoun ou Ryszard Kapuscinski : comme le géographe grec, le chroniqueur arabe ou l'écrivain polonais, son mentor disparu il y a quelques mois, Lieve Joris a cette capacité à rare à tenir les deux bouts du général et du particulier, de la fresque et du détail, de l'analyse et du récit, sans jamais perdre le fil de l'un ou de l'autre.
Son dernier «récit» (c'est le mot qu'emploie son éditeur), l'Heure des rebelles, raconte, à travers l'histoire d'Assani, un jeune garçon vacher devenu chef rebelle, celle du Congo de ces quarante dernières années. Le Congo oui, le grand Congo, celui de Lumumba et Mobutu, de Kabila père et fils, cette Belgique immense et tropicale, qui défie la raison et engloutit ceux qui s'y risquent. «Aujourd'hui, l'élégante gare coloniale semblait noire d'humidité, l'horloge s'était arrêtée et sur les voies s'entassait du matériel ferroviaire au rebut. Tout était en train de rouiller et de moisir ici même les gens. Ils avaient atterri dans la poubelle de l'histoire, une poubelle qui pourrissait dans un dépôt. Seuls les manguiers du temps des Belges avaient survécu à la lutte contre l'oubli. Les grands arbres ombrageaient les rues larges et, à la saison des pluies, le vent faisait tomber les fruits