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Libération
Interview

La langue, les dieux et les hommes

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Comment fixer le fluide? Entretien avec Clarisse Herrenschmidt, l' auteur des «Trois Ecritures».
publié le 31 mai 2007 à 8h02

Vous pensez que la forme d'une écriture révèle la théorie du langage sous-jacente à une culture. En réalité, je fais trois hypothèses. La première, c'est que des groupes humains qui écrivent dans des systèmes graphiques différents ­ idéogrammes, écritures consonantiques des langues sémitiques, alphabet grec... ­ ont des théories du langage différentes, ils s'inscrivent différemment dans le monde. Ma deuxième hypothèse part du principe, connu par l'étude des maladies mentales, que la psyché humaine a tendance à identifier les choses avec le nom qu'elles portent dans la langue, et que cette identité, que j'appelle le contexte, reste cachée dans l'âme du sujet. A partir de là, on observe que les différentes manières d'écrire les langues se placent différemment par rapport à ce contexte. Enfin, je pense que la langue nous échappe le plus souvent, elle est invisible, ce qui la range du côté des puissances invisibles : ancêtres, esprits, dieux et prophètes. Alors que l'écriture la piège et la rend visible en la faisant apparaître sur un support, tablette d'argile, parchemin ou feuille de papier.

A partir de là, que peut-on dire de l'écriture sumérienne et de l'écriture consonantique des langues sémitiques?

L'écriture sumérienne de Mésopotamie, née il y a cinquante-trois siècles, est faite de logogrammes, elle a un signe pour un mot. On peut voir là un prolongement de la relation intime entre une chose et son nom, une identité entre la chose et le mot. Le logogramme manifesterait le