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Critique

Quand on n'est plus capable

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Envahissant la vie ordinaire, la précarité plonge l'individu dans une série d'incapacités. L'incursion de la philosophie dans le social.
publié le 5 juillet 2007 à 8h40

S'ils sont souvent intrigués par les fous (pour le doute radical que ceux-ci jettent sur la solidité de l'entendement humain), s'ils sont attirés par les méchants (à cause des questions qu'ils continuent à poser sur la nature humaine plus ou moins bonne et sur la possibilité de l'améliorer), les philosophes n'aiment pas, ou peu, les pauvres et tout autre genre de laissés pour-compte (à cause probablement de la démonstration qu'ils ne cessent de faire que le manque d'avoir et le manque à être sont profondément entremêlés ­ confirmant ainsi moins les limites de la condition humaine que l'impuissance du discours, notamment philosophique, à y remédier). Face à cette figure de l'humain, plus ou moins abîmée, le plus souvent le philosophe se retire en effet, préférant laisser la place au sociologue, au moraliste, au politique. Détonnant par rapport au noble retrait de ses collègues, un jeune philosophe, Guillaume Le Blanc, professeur à l'université de Bordeaux, vient de publier Vies ordinaires, vies précaires, un essai précieux. Le geste est fort, qui met à l'épreuve d'une pensée haute la précarité moderne, précarité inédite qu'il ne faut pas confondre avec la vulnérabilité «normale», inhérente à toute vie humaine. C'est d'ailleurs le propre de la précarité sociale, d'un côté, de se laisser envelopper par cette vulnérabilité vitale et de multiplier ainsi les effets dévastateurs sur l'individu qu'elle frappe et, de l'autre, d'exercer une menace permanente au coeur des vies o