D ans la famille Prigent nous avions la grand- mère héroï-comique (Grand-mère Quéquette), la mère (Une phrase pour ma mère), voici le père. Mais à défaut d'être un roman ou une autobiographie, Demain je meurs est plutôt un texte migrant entre prose et poésie, un livre moderne si l'adjectif n'est pas devenu grossier. Christian y raconte la vie d'Edouard, l'histoire d'un fils de paysan, brillant sujet promu par l'école laïque, agrégé de lettres classiques et aussi inflexible en classe que rouge de coeur et cadre du Parti communiste français. Comment peut-on être le fils d'une icône ? Ce n'est pas à Christian Prigent, lecteur de Lacan qu'il faut poser ce genre de question. Sa réponse est ici narrative qui ne cherche ni l'édification des masses, ni la réconciliation ; elle est de l'ordre de la poésie et rejoint les muettes évidences de la vie : c'était déjà foutu, c'est toujours déjà trop tard : «Hier j'étais né, demain je meurs.»
Pendant 400 pages, le jeune narrateur de Demain je meurs entreprend une course contre la camarde. Sa mère l'a envoyé à l'hôpital rendre visite à son père qui y est soigné comprend-on pour une de ces maladies alors définitives. Tout le roman tient en une demi-heure et quelques kilomètres pendant lesquels l'écrivain refait l'itinéraire de son père pour tenter enfin de croiser sa route. L'adolescent pédale à travers le temps, dans cet état de la conscience où tout revient, d'une silhouette entraperçue sur le bord de l