Assis sur un trottoir aussi insignifiant que lui-même, Marcel portait son oisiveté avec fierté, comme une légion d'honneur. De son tête-à-tête avec lui-même il s'était convaincu qu'il était trop intelligent pour se gaspiller en activités vulgaires. Même les gonzesses aux fesses nerveuses et rebondies comme des ballons de foot n'avaient aucune grâce à ses yeux, « elles n'ont rien dans le cigare ! », comme si c'était là que se jouait la partie.
Il s'appuya contre le mur, là où les chiens s'arrêtaient pour pisser, (ce qui les contraria énormément), allongea les jambes pour entraver le passage, et insulta la boulangère lorsqu'elle alla chercher son fils à l'école. Chacun eut droit à son apostrophe.
« Regardez cette conne ! Seiche plate, tu te la pètes ?» C'était bien sobre, pourtant la grande brune au visage taché de son, d'un demi-tour contact sec, lui balança un coup de croquenot droit, ferré de frais, acheté au surplus de l'armée, en pleine poire. Marcel en rougit plus qu'un tube de concentré de tomate éventré, tandis qu'il était éclaboussé d'une vague de « couille avachie, foireux merdique, trou du cul piteux, comique dégénéré, pitre fécal, ordure molle… » Il en fut fort vexé, non seulement elle avait un catalogue d'injures infiniment supérieur au sien, mais en plus le vocabulaire, la syntaxe et les images ne correspondaient en rien aux insultes traditionnelles d'une jeunesse saine déclinant ses classiques. Elle sortit de son blouson de cuir un mouchoir d'une propre
Marcel et le temps perdu
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par Bernard Alquier
publié le 6 août 2007 à 7h00
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