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Tout reste à frère

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Les Inconsolables (2/8). Une série autour du sentiment de perte ou d'absence. François Maspero, 75 ans, éditeur et écrivain. Le 8 septembre 1944, son frère, Jean, a été tué par des tirs allemands. Un événement qui continue de marquer sa vie comme son oeuvre.
publié le 7 août 2007 à 9h05

Une seule fois, il a dit «Jean», pas «mon frère» ou «Jean, mon frère». Non, juste le prénom, avec l'évidence d'une présence familière. C'était vers la fin de l'entretien, quand l'autocontrôle baisse un peu la garde. Il en était à évoquer la transition entre ses deux vies, de l'éditeur engagé dans le bouillonnement politique des années 60 à l'écrivain de la brûlure intime, vingt ans plus tard. «L'écriture a été un temps de retour à moi-même, à Jean.» Furtivement, son regard s'est détaché du lointain où il semble toujours en train de s'abîmer. Par la grâce d'un prénom enfin prononcé, l'absence et le présent se sont - peut-être - réconciliés.

Au téléphone, François Maspero avait prévenu : plutôt que de son frère, il préférait parler de l'absence en général, comment on la vit, ou pas, aujourd'hui. «Par exemple, l'expression faire son deuil me semble une absurdité. C'est expulser la mort de la société.» Il voulait évoquer son ami Sadek Aissat, écrivain algérien, communiste, «mort de colère» il y a quelques années. «Une autre absence me tracasse beaucoup, avait-il ajouté, c'est celle de l'espoir d'une autre société pour laquelle des gens se sont battus au nom de ce que l'on appelle l'idéologie.» Surtout, ne pas faire pleurer dans les chaumières : «En Pologne, en Bosnie, dans les camps palestiniens, mon cas serait d'une telle banalité. J'essaie de ne pas me laisser aller.»

François Maspero fréquente les