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Libération
Critique

Langue des maudits

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Un interprète, des barbouzes, un Congo infernal. Sur le mode du thriller, Le Carré règle leur compte aux manoeuvres occidentales en Afrique.
publié le 20 septembre 2007 à 9h43

Celui qui raconte, c'est l'interprète : Bruno Salvador, dit Salvo. Il est le «fils naturel d'un bouseux irlandais devenu missionnaire catholique et d'une villageoise congolaise dont le nom a disparu à jamais dans les ravages du temps et de la guerre.» Il a grandi dans un paradis que les hommes - certains hommes - et les Etats - certains Etats - se sont naturellement obstinés à transformer en enfer : les bords du lac Kivu, à la lisière du Congo et du Rwanda. Maintenant, à la suite d'aventures qui en font un picaro flegmatique, ce citoyen très british style et imperceptiblement métissé vit à Londres. Salvo a 28 ans, une virilité féminine, l'efficace neutralité tendue qu'exige son métier. Sa femme, une journaliste ambitieuse et presque célèbre, est «une garce anxieuse qui agit par surcompensation de ses doutes.» La définition est d'une voisine. Rien dans le portrait qu'en fait Le Carré n'indique qu'elle soit fausse. Tous les portraits du roman sont réussis.

Salvo est un être élégant dont le naturel, comme le destin, est fait d'ambiguïté. Il a été sauvé et éduqué avec soin par un bon père qui l'aimait beaucoup et le tripotait un peu. Il est devenu un interprète d'exception, qui parle, entre autres, de nombreuses langues africaines. Un interprète est «la passerelle, le maillon indispensable entre les âmes pécheresses et Dieu», l'expression est répétée dans le roman. Cet aventurier intermédiaire est donc une sorte d'écrivain - à la Le Carré : d'une langue à l'a